"quelques réponses aux questions non posées ", de Ludovic Renaudin, Editions L'Harmattan. Pages : 63. Mars 2019. Prix : 10,50 euros.

Bien que petit- fils de (petits) paysans du Limousin, mes connaissances en agriculture sont assez limitées... aussi ma critique se basera principalement sur l'argumentation, le fonctionnement de notre société, et l'évolution inévitable des idées. La colère de l'auteur est compréhensible, mais les choses sont loin d'être aussi simples qu'on le voudrait ! Voici quelques points parmi ceux traités dans ce petit ouvrage :

  1. Notre société fonctionne, hélas, par petits clans qui se jugent sur (encore une fois hélas) des généralisations parfois abusives. Ce cri du coeur d'un agriculteur, lassé qu'on le stigmatise sans connaître son métier, et sans la prise en compte que, dans chaque profession, il y a des gens sérieux, des gens qui le sont moins et des gens qui ne le sont pas du tout, peut être mis en parallèle avec beaucoup d'autres. On peut de la même manière constater la vision que possède beaucoup de campagnards de ce que sont les citadins, généralisant le fait qu'une minorité d'entre eux, lorsqu'ils viennent s'installer dans de petits villages, souhaitent que les coqs ne chantent pas, les grenouilles ne coassent pas, les vaches et les chevaux aillent faire leurs bouses et crottins ailleurs.... et cette impression est renforcée par le fait que la presse en fera des gros titres tellement c'est absurde !
    Ludovic Renaudin a donc raison de s'offusquer des critiques aveugles, mais il faut constater que ce mode de fonctionnement est généralisé dans notre société, et non exclusivement dirigé contre les agriculteurs.
     
  2. La mise en parallèle de l'agriculture et de la médecine est assez pertinente, mais l'argumentation de l'auteur peut facilement être retournée. Les agriculteurs sont des professionnels tout comme les médecins sont des professionnels. Durant des dizaines d'années, les médecins ont prescrit des antibiotiques à tour de bras. Le résultat est que des maladies qui avaient presque disparues, réapparaissent et sont devenues difficilement soignables, les micro-organismes étant devenus résistants. Donc, nos mêmes spécialistes ont aujourd'hui compris qu'ils avaient fait une erreur. Et donc l'utilisation des antibiotiques n'est plus conseillée que dans des cas plus rares et bien précis. L'utilisation des pesticides se trouve dans une situation identique ! Et là, nous pourrions donc développer "perte de biodiversité", "problèmes de pollinisation" (mortalité des abeilles), "danger pour la santé" (l'auteur indique que les agriculteurs sont protégés lorsqu'ils pulvérisent, donc il est facile de comprendre que les riverains, qui eux n'ont pas de protections, et le vent ne s'arrêtant pas en bordure de champs, demandent une zone tampon conséquente), etc.
     
  3. Les normes. Oui, bien sûr, certaines paraissent caricaturales, et l'exemple donné concernant les mineurs qui n'ont pas le droit de grimper à une échelle lors de la cueillette des fruits décrit en effet une absurdité.... sauf que lorsqu'un enfant se blesse à l'école ou en colonie de vacances, la plupart des parents, agriculteurs compris, va immédiatement vérifier si les règles de sécurité ont bien été appliquées, cherchant un "coupable". La vision des normes varient selon la position dans laquelle on se trouve. Il s'agit donc là du problème d'une société qui exige le risque zéro, et confond "accident", "erreur", "faute" .... Force aussi est de constater en effet que ces normes ont fait, et font encore, disparaître les plus petites exploitations, et ont conduit et conduisent encore à des suicides.
     
  4. C'est vrai aussi qu'à une époque on a fait croire aux agriculteurs qu'ils devaient "nourrir le monde", là encore, détruisant les petites exploitations et favorisant les très grosses. Les idées changent, les constats aussi ! Aujourd'hui nous semblons avoir compris que pour nourrir le monde, il faut commencer par nourrir localement et sainement. Et, de plus cela permet, en limitant les intermédiaires, de faire revivre des petites exploitations en les faisant redevenir rentables. Parfois, les recettes du passé ont du bon.
     
  5. Nul, aujourd'hui, ne peut ignorer les conséquences de l'agriculture "industrielle" sur l'environnement et notre santé. Voir les algues vertes en Bretagne / l'élevage intensif, le chlordécone dans les Antilles françaises, les inondations récurrentes avec la perte des haies et des fossés, etc. Réfléchir aux erreurs du passé est indispensable pour progresser, que l'on soit agriculteur ou simplement citoyen. Ludovic Renaudin demande du temps.... mais les alertes ne datent ni d'aujourd'hui, ni d'un passé trop proche ! Jusqu'où faut-il repousser le changement ?

 Ce cri du coeur d'un agriculteur qui n'est pas un "fanatique" d'une agriculture contre une autre, mais qui se retrouve pris dans les complexités d'une société en changement continuel, se comprend aisément. Cette société vit sur l'opposition des uns contre les autres au lieu de proposer du "faire ensemble" ou du "réfléchir ensemble". Il faut admettre que les problèmes posés ne se résoudront pas par le repli sur soi, mais bien par une transformation globale suite à une réflexion approfondie concernant à la fois le fonctionnement de la société  et l'étude des dangers de certaines pratiques agricoles pour l'environnement et les populations. Cet ouvrage est intéressant, mais, à mon avis, sans prise de recul il ne peut convaincre vraiment.