« L'enquête vérité » de Fabiola Flex, Editions Buchet.Chastel, mai 2021. Pages : 134. Prix : 16,90 euros.
Surtout ne pas s'arrêter au prologue qui pourra sembler un peu provocateur... dans la mesure où l'exemple de discrimination cité est celui d'un homme, un physicien italien, qui d'ailleurs se pose aussi la question de savoir qui se plaint de la sous représentation des hommes dans les sciences de l'éducation ou la psychologie, et se justifie ainsi suite au tollé provoqué lors de son intervention durant une rencontre « J'aurais mieux fait de ne pas soulever ce point (note : la discrimination qu'il a ressentie), mais la plupart des femmes qui assistaient au colloque se plaignaient de leurs difficultés en les attribuant à la discrimination. J'ai voulu apporter un contre exemple en montrant que tout le monde pouvait rencontrer ce type de problème ». Les conséquences ont été rapides pour sa carrière et même pour sa famille.
Quoi que l'on en pense, les faits restent là et il faut tenter d'en comprendre les tenants et aboutissants, les carrières en sciences « dures » attirent plus d'hommes que de femmes, et le sexisme est loin d'avoir totalement disparu même en France (plusieurs exemples sont cités au fil des pages). Fabiola Flex indique quelques structures ou Fondations qui encouragent les femmes à se lancer dans les carrières scientifiques : la « Fondation L'Oréal-UNESCO pour les femmes et la science », les associations « Femmes $ sciences », « Femmes $ mathématiques », …
C'est à partir du bac que la vraie cassure semble se produire, sans grande évolution ces dernières années, mais dès la classe de seconde les filles ne représentent « même pas 3% des élèves ayant opté pour les matières « informatique et création numérique » ou « création et innovations technologiques » en tant qu'enseignements d'exploration » (en 2018).
Le rôle de certains parents et de certains enseignants est pointé du doigt, guidant les filles vers « des métiers plus « féminins », où il est sans doute plus facile de jongler avec « une vraie vie de famille » » (professeure de français, avocate...). L'appartenance à un milieu social déterminé a encore aujourd'hui une importance notable : la représentation des enfants d'ouvriers n'est pas la même que celle des enfants de cadres, qu'il s'agisse de filles ou de garçons.
Il se dit que les équipes mixtes sont plus performantes que les autres « on a de meilleures idées ensemble lorsqu'on est différents »... (en clair le « on ne naît pas femme : on le devient » de Simone de Beauvoir en 1949, n'est pas encore assimilé ! Sinon nous n'aurions aucune raison d'être « différents »). Mais ce n'est pas forcément complètement faux non plus (voir plus loin).
Le problème des algorithmes dans les programmes informatiques (essentiellement écrits par des hommes puisqu'ils sont largement majoritaires dans ce domaine d'activité) par exemple pour la pré-sélection dans les embauches ou dans les moteurs de recherche, défavorisent les femmes de façon assez flagrante. En 2016 le mot « femme » était associé à « femme de ménage », « nourrice », « réceptionniste », etc., alors que le mot « homme » l'était à « capitaine », « chef », « financier », ...
L'analyse des stéréotypes courants montre que ceux-ci diminuent la confiance que les filles peuvent avoir en elles. Et, selon certains chercheurs « les jeux pousseraient les enfants à intégrer des stéréotypes de genre » (ce qui ne fait pas de doute !). Et malgré de gros efforts, aujourd'hui encore si l'on recherche un jeu pour un enfant, le (la) vendeur-vendeuse) demandera le plus souvent « c'est pour un garçon ou pour une fille ? » au lieu de dire « qu'est-ce que l'enfant aime ? ».
Si, dans certains cas, le sexisme est bien présent, il est difficile de généraliser. Laure Gonnord indique « Tout au long de ma scolarité, j'ai davantage souffert d'être bonne élève que d'être une fille ».
Les stéréotypes sont-ils seuls la cause des différences de choix de professions selon le sexe ? Peut-être pas. La biologie pourrait être de la partie également : « (…) les embryons garçons secrètent naturellement de la testostérone alors que les embryons féminins sont « seulement » exposés à celle produite par les ovaires et les glandes surrénales de la mère - normalement en très petite quantité - (...) », mais cet effet n'est sensible qu'au niveau d'un grand nombre d'individus, pas au niveau individuel. Selon Jacques Baltazard « la relation est claire, mais statistique » (dans le choix des « petites voiture » ou des « poupées » par les jeunes enfants).
Une vocation dépend de plein de choses, parfois simplement d'une rencontre. Mais si filles ou garçons peuvent faire les mêmes choix, « (…) la plupart des filles qui se destinent aux filières scientifiques veulent faire médecine (…). Ce sont des adolescentes qui veulent sauver le monde », et ce déséquilibre se retrouve partout autour du globe « Dans les pays d'Europe du Nord où l'égalité entre les sexes est la mieux établie – et où les femmes sont moins en butte aux stéréotypes – elles se détournent encore plus massivement des sciences dites « dures »... ». En Finlande et en Norvège, où cette égalité est bien installée « seuls 20% des diplômés en sciences sont des femmes ».
Le problème des laboratoires publics en France (qui concerne aussi bien les filles que les garçons) est plutôt que les responsables passent beaucoup de temps à rechercher des fonds au détriment de leurs propres travaux, que les postes de titulaires sont très limités, et qu'après avoir réussi leurs examens, les diplômé(e)s passent de concours en postdoctorats qui se suivent, ce qui fait qu'à 35 ans ils n'ont toujours pas de situation stable, tandis que le privé ou l'étranger leur ouvre les bras avec des salaires meilleurs. La société et parfois (souvent ?) le désir de maternité, font peut être que certaines femmes désirent plus la stabilité que les hommes....
Cet ouvrage, excellent, nous ballade entre stéréotypes (donc problèmes de société), contraintes économiques, sexisme, avec des biais multiples et parfois contradictoires, qui font qu'il est bien difficile de résoudre le problème de manque de parité dans les sciences « dures ». Peut-on conclure que les choses sont tellement complexes que le constat d'aujourd'hui reste et restera un mystère entier pour longtemps ? A vous de juger...