« L'incorporation de la preuve et de l'indice à l'ère de la génétique », sous la direction de Joëlle Vailly, avec Pascal Beauvais, Florence Bellivier, Elisabeth Fortis, Gaëlle Krikorian, Julie Léonhard, Christine Noiville, Florence Paterson, Bertrand Renard, Anne Simon, Elsa Supiot, Vololona Rabeharisoa et Joëlle Vailly. Éditions de la Maison des sciences de l'homme, collection le(bien)commun. Avril 2021. Pages : 242. Prix : 23 euros.

 

Police, Justice et Science font-ils bon ménage ? La science peut-elle résoudre tous les problèmes et confondre sans doute criminels et délinquants ? Les techniques modernes seraient-elles donc infaillibles ? Y a-t-il des risques pour la démocratie lorsque la population est fichée en utilisant la génétique, sur des durées très longues, avec l'extension généralisée des motifs de fichage ? Au départ, le FNAEG était destiné aux seuls violeurs, mais depuis, il a été étendu à tous les délits, et même aux simples suspects (pourtant présumés innocents en droits français...), les seuls à ne pas entrer dans le fichier sont les délinquants économiques et financiers (fraude fiscale, délit d'initié, abus de bien social...), ce qui correspond en général à la délinquance des plus riches ! Joëlle Vailly précise « En France, le système établi de fichage des criminels sexuels a facilité l'entrée dans la loi et l'acceptabilité d'un fichage plus large, basé sur un même type d'organisation technique et d'interaction sociale. »

Les auteur(e)s étudient donc ici les lois et les pratiques en France, mais aussi aux États Unis et en Europe, ainsi que les risques sur le long terme de fichage politique ou ethnique avec l'arrivée possible au pouvoir de régimes autoritaires. Aux USA déjà, les fichiers de polices et certains fichiers privés de recherches généalogiques sont croisés, tandis que même en France, les fichiers deviennent plus policiers que judiciaires. Concernant le FNAEG, comme indiqué plus haut, étant donné que « Le fichier ne comporte plus seulement les profils génétiques d'individus condamnés, mais également ceux, et en majorité, de suspects. » « (…) la loi a fabriqué des « suspects en attente » », le danger vient du fait que leur profil est, à leur insu, comparé quotidiennement lors de nouvelles affaires qui ne les concerne pas a priori.

Les techniques d'aujourd'hui sont tellement évoluées que l'on peut analyser des quantités d'ADN minimes, ADN pouvant être d'ailleurs très ancien. Sauf à ce que soit présente une grosse quantité d'ADN, la « preuve ADN » ne peut donc être prise que comme un indice complémentaire parmi d'autres. De plus « La technicité des pratiques rend la preuve génétique difficilement appréhendable par les magistrats, avocats et parties ».

Le consentement au fichage (des autres...) est majoritaire auprès du grand public qui ne comprend ce fichage qu'à travers la presse qui traite des grands crimes sensationnels ou choquants. Pourtant les auteur(e)s de ce livre estiment qu'il y a nécessité à un vrai débat public et que la longue conservation des données, 40 ans pour les condamnés et 25 ans pour les suspects, met à mal le droit à l'oubli et est une grave atteinte à la vie privée pour les simples suspects.

Un travail très complet pour comprendre le fonctionnement de nos sociétés (basé sur la peur) et des systèmes de fichages généralisés qui menacent la vie privée et parfois la démocratie. Le contrôle des utilisateurs des fichiers étant souvent flou et de toute façon évolutif, le risque est certain. Il ne s'agit pas d'un ouvrage de « vulgarisation », mais d'une véritable étude sur les fichages judiciaires et de police, qui pose les vrais questions sur l'avenir de nos démocraties...