« journal intime d’une famille d’instituteurs, 1768-1885 », Pierre Maréchal, Jean François Aimable Julliart, Jean Louis Honoré Julliart et Louis Rustique Julliart, Éditions Encre de nuit, janvier 2023. Pages : 125. Prix : 12,95 euros.

Ce journal d’une famille d’instituteurs ruraux picards (l’oncle d’abord, qui a passé le relai à son neveu, lui-même le cédant à son fils, ce dernier à son propre fils) nous entraîne dans l’évolution du métier d’enseignant sous la monarchie, la révolution et la 1ère république, l’empire, la monarchie à nouveau, la 2ème république, le second empire, et enfin la 3ème république. Que de changements pour eux en un peu plus d’un siècle, entre 1768 et 1885 ! Et ils sont partis de très loin avant d’arriver à l’école laïque...

Au départ extrêmement précaires (ils n’avaient ni salaire ni retraite) les instituteurs étaient payés directement par les parents, souvent en nature (blé, vin,...) lorsque ces derniers le pouvaient, et leur fonction dépassait largement l’école. Ils travaillaient pour l’église, pour la mairie, parfois aux champs… Les derniers verront heureusement salaire et retraite arriver.

Tout d’abord aucune formation ne leur était véritablement demandée. Jean François Aimable Julliart écrit en 1795 : « Autrefois, il n’y avait aucun examen à subir, une simple lettre de Monsieur le Curé, une recommandation d’un gros laboureur, c’était suffisant. ». D’autres fois, toujours sous le contrôle du curé, ils pouvaient être élus par « les chefs de feux » (un « chef de feu » est le responsable du foyer, ici celui envoyant ses enfants à l’école).

En 1772 Pierre Maréchal écrit : « Quelques écoliers demandent à être pris par la douceur, mais il en est d’autres à qui les coups de bouleau sont nécessaires. » Il en a été ainsi un certain temps. Mais, en 1873, c’est à dire cent ans après, Louis Rustique Julliart constate : « Le Bulletin n°31 m’apprend qu’un instituteur vient d’être révoqué pour avoir frappé un de ses élèves. », néanmoins il précise « je plains de tout mon cœur ce malheureux qui n’a pu maîtriser sa colère » car certains élèves sont « taquins, paresseux, étourdis, menteurs, bouchés comme des crétins, voleurs, grossiers, insolents même »…. il restait donc encore du chemin à parcourir pour approuver des alternatives à la violence !

Ce document nous montre également qu’il n’a pas été nécessaire d’attendre les pédagogues du XX ème siècle pour tenter des alternatives aux méthodes traditionnelles d’éducation (précision personnelle : ce que n’hésitait pas à indiquer Francisco Ferrer, plus modeste que beaucoup d’autres, et qui, avant de créer ses « Écoles nouvelles » en Espagne fin du 19 ème / début du 20 ème siècle, avait parcouru l’Europe pour étudier les méthodes originales utilisées à son époque). Revenons à notre « journal », des instituteurs motivés ont installé des bibliothèques, instauré des cours du soir pour les grands non scolarisés, en 1858 Louis Rustique Julliart établit des « conférences rurales » destinées aux cultivateurs et ouvriers, en 1877 il fait créer par les élèves un « musée scolaire », en 1879 une « caisse d’épargne scolaire » pour les élèves. L’instituteur et formateur Sarrazin avait réalisé un document pour promouvoir « l’école mutuelle » dans laquelle les élèves avaient une participation active, les plus grands aidant à l’éducation des plus petits. (note personnelle : cette méthode semble avoir existé bien avant en Inde (?) et certainement aussi ailleurs).

En 1867, une loi accorde un traitement à « la femme ou à la fille de l’instituteur chargée de la direction des travaux à l’aiguille dans les écoles mixtes ». (Note : les écoles mixtes poseront encore des soucis à beaucoup de gens durant longtemps !).

Et pensons, qu’à l’époque, parfois une classe primaire comportait plus de… cent élèves pour un seul enseignant !

Ce document n’intéressera certainement pas le très grand public, mais il passionnera à coup sûr ceux qu’intéresse l’enseignement et l’histoire ! Pour ces derniers, à lire, à lire...