de Michèle Le Doeuff, avec une postface de Léa Védie, ENS Éditions, collection « perspectives genre », 16 mars 2023. Pages : 308. Prix : 15 euros. Réédition, avec des corrections mineures, d’un ouvrage datant de 1998 (Éditions Aubier), réédité déjà en 2002 (Champs-Flammarion).

Encore largement d’actualité, cet essai philosophique sans concessions nous entraîne dans « la clôture masculine du savoir » (titre du chapitre de la page 156...). Les relations entre les femmes et le savoir (dont les sciences), imposées par, d’une manière générale, « les hommes », sont analysées de l’antiquité à nos jours afin de tenter de comprendre la misogynie qui s’est instaurée sur les bases de clichés sans fondements scientifiques. Michèle Le Doeuff nous cite un exemple, pourtant assez récent (1983) et effarant, d’un président de cour d’appel de Poitiers expliquant à Yvette Roudy, alors Ministre du droit des femmes, qu’il n’a aucune objection à faire aux grands principes d’égalité hommes-femmes sauf en ce qui concerne les magistrats, les femmes excellant dans les affaires de mineurs et d’abandon de famille « En revanche, seuls les hommes font preuve de fermeté suffisante et sont de bons juges d’instruction. » ! Ce n’est que dix ans avant la première édition de l’essai de Michèle Le Doeuff, quarante ans jusqu’à aujourd’hui, mais cet état d’esprit n’a pas toujours complètement disparu… même si de gros progrès ne peuvent être mis en doute heureusement.

La « nature » des femmes fait encore parfois débat (y compris chez certaines féministes), et l’auteure nous déroule les démarches qui ont abouti durant longtemps à nier la capacité des femmes à faire de la science. Défileront ici les idées largement commentées avec recul et souvent originalité, de femmes et d’hommes ayant traité des capacités « des femmes » par rapport à celles « des hommes », en vrac : Francis Bacon dont elle est spécialiste, mais aussi Hypatie, Christine de Pisan, Gabrielle Suchon, Harriet Taylor, Mary Wollstonecraf, Auguste Comte, Jacques Derrida, Simone de Beauvoir, Jean-Jacques Rousseau, Descartes, Simone Veil, Hegel, etc.

Sont abordé(e)s, parmi d’autres, l’histoire des « bas-bleus », le mythe du péché originel, le concept d’intuition féminine, les « médeciennes », le non-accès au savoir qui mène à la dépendance intellectuelle et morale d’un autre, mâle bien entendu.

Cet essai passionnant, n’est toutefois pas vraiment «grand public ». S’y mêlent philosophie et féminisme, traité(e)s avec une argumentation sérieuse et approfondie. Indispensable afin de comprendre l’instauration des sociétés patriarcales, et leur évolution, imparfaite, vers des sociétés plus « modernes » et plus égalitaires.