« enseigner à l’ère numérique », de Eric Martin et Sébastien Mussi, Éditions écosociété, collection Polémos « combattre, débattre », août 2023. Pages : 183. Prix : 16 euros.

Le tout numérique vers lequel nos dirigeants veulent nous mener, y compris pour l’école dans le monde entier, est analysé par deux professeurs de philosophie aussi bien pour le Canada, que pour les USA ou la France. Un peu partout la tendance est à privatiser, à sous-traiter… et la crise de la COVID n’a fait qu’accélérer la volonté de passer au tout-numérique et à l’éducation à distance. Pourtant aucune étude en profondeur n’a été effectuée sur les effets à long terme, que cette expérience a plutôt montrée d’ailleurs comme destructrice et inégalitariste (en fonction des ressources des parents). La perte de la communication directe produit de l’isolement, du replis sur soi, une perte de sensibilité et d’empathie, moins de partage et d’actions communes, … effets qui ont bien été constatés par les acteurs de terrain.

Le constat des auteurs est que nos sociétés capitalistes ne s’intéressent pas à former des humains qui réfléchissent, mais plutôt une main d’œuvre formée aux techniques que les futur(e)s employé(e)s devront maîtriser.

L’intelligence artificielle se développe de plus en plus et « raisonnera » à la place des élèves… et des professeurs ! Eric Martin et Sébastien Mussi nous disent : « A des étudiants qui éprouvent des difficultés d’écriture, on fournit des logiciels qui suggèrent des mots de vocabulaire et des façons de compléter la phrase sans se demander si cette prothèse technologique conduit à un apprentissage véritable ou ne constitue qu’une béquille qui rend l’élève dépendant de la technique (…). »

L’éducation à distance, imposée de manière autoritaire, risque également d’être sous-traitée…, signera-t-elle la disparition des professeurs de terrain ? Ceux qui osent se poser des questions et demander du temps et des recherches sur les conséquences prévisibles, sont assimilés à des « dinosaures » afin d’être décrédibilisés. Pourtant la simple conversation, que ce soit en famille ou à l’école, permet d’apprendre à confronter ses idées, à écouter, à faire des concessions, etc.. Une présence physique est donc indispensable le plus souvent possible dans notre vie de tous les jours, et cela nous concerne tous. L’unique présence devant un écran, en effet nous déshumanise.

La conclusion des auteurs, valable au Canada comme chez nous en France, est la suivante : « Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce dont des élèves et les étudiants ont besoin aujourd’hui, ce n’est pas de plus d’ordinateurs, de tableaux interactifs ou d’apprendre à utiliser une tablette, ce dont ils ont réellement besoin, c’est qu’il y ait assez de profs et de professionnels parascolaires dans les écoles, c’est que soient abaissés les ratios prof/étudiants dans les classes trop nombreuses (…). »

Cet essai est intéressant à plus d’un titre. Il interroge l’avenir de l’éducation, entre la vision des politiques, celle des économistes, et des conceptions plus humanistes et plus traditionnelles .
Quels sont les risques du tout numérique et de l’enseignement à distance pour les élèves aussi bien au plan cognitif que social ? Les machines ne doivent pas disparaître, mais rester au service de l’humain, affirment Eric Martin et Sébastien Mussi. Voici un ouvrage que enseignants et parents auront intérêt à étudier.